De et avec Jolente De Keersmaeker, Frank Vercruyssen, Haider Al Timimi, Gustavo Vieira, Atta Nasser et Evgenia Brendes
ORPHELINS
par Dennis Kelly

Création lumières Stef Stessel
Costumes Sietske Van Aerde

Production tg STAN
Coproduction Kloppend Hert, Moussem, Toneelhuis, Vooruit.

Orphans a été présenté pour la première fois par la Birmingham Repertory Theatre Company et le Traverse Theatre Compagnie en association avec Paines Plough au Traverse Theatre, Edinburgh le 31 juillet 2009.


Le tg STAN bannit la répétition et frappe juste.

La troupe flamande cultive une méthode hors norme: ses acteurs analysent les textes, mais ne les répètent pas. Frank Vercruyssen raconte ce jeu sans filet, à découvrir à Genève.

La table. Au théâtre, d’ordinaire, le «travail à la table» est un travail inaugural. Une séance de lecture collective qui précède les répétitions et durant laquelle le metteur en scène et les comédiens définissent les enjeux du texte. Ensuite, très vite dans la tradition de Benno Besson, plus tard chez les obsédés du sens comme Alain Françon, les acteurs passent au plateau où ils expérimentent ces intentions. D’ordinaire, donc, la table est tremplin. Mais chez tg STAN, troupe flamande qui est tout sauf ordinaire, la table est écrin. Ces acteurs qui se dirigent eux-mêmes, refusant la notion de metteur en scène, ne travaillent qu’à la table. Oui, à la table uniquement. Jamais, ces comédiens ne répètent le texte en situation. Ils parlent, parlent, parlent de la partition, puis prennent possession de la scène quelques jours avant la première représentation.

Et alors ? Alors, ça change tout, souligne Frank Vercruyssen, l’un des quatre mousquetaires fondateurs en 1989 de cette troupe aujourd’hui mythique. «On a faim, très faim, et tout à coup, c’est le festin!» sourit-il, attablé à un café, en marge de la trilogie qu’il présente ces jours au Théâtre Saint-Gervais (LT du 28.02.2014). «Ce que vous voyez sur le plateau, c’est le résultat des qualités et défauts des individus qui sont sur scène.» Autrement dit, tg STAN ne cherche pas la mystification. Encore moins l’incarnation stanislavskienne où le comédien s’efface derrière le personnage. «Pour nous, cette idée qu’on arrive à recréer deux cents fois une émotion est un leurre. Ce n’est pas possible de pleurer ou de rire à répétition sans fabriquer. Du coup, on préfère montrer le comédien entrer et sortir du personnage, ou même énoncer le personnage à distance, de sorte à éviter un gaspillage de temps. Le spectateur va directement au texte, sans passer par l’illusion trompeuse à laquelle il ne croit de toute façon pas.»

Avec ces Flamands vivifiants, on se situe loin, très loin, d’un jeu où chaque prise de rôle est une brûlure, une combustion. Face à un spectacle de tg STAN, le spectateur n’oublie jamais qu’il est au théâtre et s’amuse du regard décomplexé que cette compagnie porte sur l’acte de jouer. Souvent, un haussement de sourcils de Frank Vercruyssen ponctue un excès de ­cabotinage du monumental Damiaan De Schrijver, autre membre fondateur de la troupe. Souvent, la désopilante Jolente De Keersmaeker, présente dès 1989 elle aussi, tord le nez comme si elle était dégoûtée et on ne sait plus à quel saint théâtral se vouer… Et que dire de Sara De Roo et ses yeux écarquillés en direction du public ?

Car, toujours, le public est l’interlocuteur direct de ces facétieux qui ont définitivement abattu le 4e mur, paroi virtuelle séparant la scène de la salle. «Et, vous savez, on regarde pour de bon les spectateurs, on ne fait pas semblant, insiste Frank Vercruyssen. On a intérêt, car on ne peut pas jouer de la même manière face aux 14 personnes d’une petite salle de Rotterdam ou aux 600 personnes de la salle du Mans… Le festin, c’est aussi ça: recréer chaque soir une nouvelle représentation.»

On comprend maintenant pourquoi leur théâtre est si vivant, si parlant. Et si fluide, comme en témoigne Après la répétition, dialogue entre un metteur en scène et une comédienne écrit par Ingmar Bergman, que l’on peut voir encore ce samedi soir à Saint-Gervais. Frank Vercruyssen et la Française Georgia Scalliet y sont bouleversants de complicité. Il en va toujours ainsi avec les tg STAN. Grâce à eux, les textes prennent vie, deviennent notre histoire, notre réalité. Qu’ils travaillent sur du Thomas Bernhard ou du Tchekhov, leurs auteurs préférés, du Schnitzler ou du Bergman, à Genève, ces jours, ou du Strindberg ou du Racine, la sensation de spontanéité ne faiblit jamais. L’ogre a faim et la chair est fraîche !

Se pose bien sûr la question de l’émotion. Ce voyage incessant entre le comédien et le personnage, est-ce une manière d’éviter tout sentiment, M. Vercruyssen ? «Non, nous n’avons pas peur des émotions. Et d’ailleurs, elles surgissent souvent. Mais on ne les répète pas, on ne les prépare pas. Et parfois, c’est quand on est le plus ironique que s’impose la tragédie. Dans Mademoiselle Else, je joue tous les personnages que rencontre la jeune fille imaginée par Schnitzler et, évidemment, il y a beaucoup de clins d’œil décalés, ne serait-ce que quand j’interprète des femmes. Or ce sont souvent de ces décalages que naît le sentiment tragique, le moment de désarroi.»

La magie théâtrale naît encore de leur rapport à la langue. Aux langues, en fait, puisque le quatuor, qui joue indifféremment en flamand, français, allemand et anglais, traduit lui-même les textes en fonction des destinations. En septembre dernier, lorsqu’ils ont interprété OF/Niet, vaudeville musclé tiré des pièces de Ayckbourn et de Pinter, c’était la première fois qu’ils jouaient en flamand surtitré à Genève. Sinon, depuis près de vingt ans, c’est dans un français parfois malmené que les drôles prennent d’assaut le Théâtre Saint-Gervais.

Cette manière d’écorcher le texte ou de le jouer, le corps anodin et le regard presque éteint, répond à leur besoin de sortir d’un théâtre solennel, hiératique. Une volonté déjà présente dans leur nom, acte de foi en faveur du collectif – STAN est l’acronyme de «Stop thinking about names». «tg STAN n’est pas né d’un projet théorique, cérébral. Nous sortions tous les quatre du Conservatoire d’Anvers et nous avions juste envie d’un théâtre direct, qui sert les auteurs avec précision et dans lequel chacun donne son avis.» Ainsi, de la costumière à l’éclairagiste, de l’administratrice à la technique, chaque collaborateur se sent libre de commenter la dynamique du spectacle. «Quand on engage un acteur de l’extérieur, il a un contrat moral», précise Frank Vercruyssen. «Il doit s’investir à 100% et avoir autant à dire sur le spectacle que les membres fixes de la troupe. Comme on ne répète pas nos spectacles, jouer, c’est comme sauter d’un avion. Nous avons besoin d’une grande confiance entre nous.»

Mais pourquoi cette idée fixe de ne pas répéter les pièces ? «Parce que je suis bien trop timide pour dire «je t’aime» quand il n’y a pas de public», rougit Frank Vercruyssen. «Le jeu en tête à tête est gênant.» Et puis, poursuit le comédien, «ce théâtre sans filet, c’est une manière de voir la démocratie en action sur le plateau. Si on n’est pas d’accord avec une option prise par un partenaire, on peut le signifier au public. Mais attention, on ne se punit jamais, on reste loyaux entre nous!»

La réussite du modèle tient beaucoup à la qualité des comédiens. Ce mélange d’aplomb, de ruse, de tendresse et d’humour. Reste à savoir si cette qualité est le résultat de ce procédé basé sur la liberté ou si c’est la qualité de chaque comédien qui a permis ce procédé. «En tout cas, nous n’avons pas fondé d’école, sourit Frank Vercruyssen. Et nous n’avons jamais publié de théorie de notre méthode! Mais lorsque je donne des stages à de jeunes comédiens, je leur fais faire l’exercice de dire «il fait, il dit» au sujet de leur personnage, pour leur apprendre la distance. Je trouve qu’on est plus juste quand on raconte une histoire que lorsqu’on essaie de la revivre.»

Idem pour l’humour qui émaille leurs spectacles. La légèreté n’est pas programmée, mais «elle aide parfois à toucher le cœur et la tête des gens. Notre seul objectif est de transmettre notre amour des textes. Avec l’expérience, on a constaté que la distance rendait ces textes plus profonds. On ne va pas s’en priver !»

Marie-Pierre Genecand - Le Temps

ORPHANS

Mardi 14 septembre 20h30
Mercredi 15 septembre 19h30
Jeudi 16 septembre 20h30

CRÉATION 1h - Salle Antoine Vitez

Spectacle en anglais surtitré en français

Danny et Helen fêtent la prochaine arrivée de leur deuxième enfant. La soirée bascule lorsque Liam, le jeune frère d'Helen, débarque. Il est recouvert de sang et affirme avoir trouvé un homme blessé dans la rue. À force de revenir sur le déroulé des faits, l'émotion s'estompe et l'innocence du jeune homme s'évapore. La vérité de Liam se teinte alors d'ambiguïté. Comme il l'avait fait avec Ingmar Bergman dans Infidèles, présenté au CDNO en 2019, le tg STAN s'empare du texte de Dennis Kelly pour bousculer les questions morales. Animé par une profonde recherche de la sincérité, le collectif flamand prend appui sur l'écriture corrosive du dramaturge anglais pour mener une exploration de la cruauté sociale d'aujourd'hui, de la violence dissimulée au sein d'une intimité familiale. Grâce à l'intense présence du tg STAN, le grondement sourd du texte de Dennis Kelly trouve un écho mordant et la fiction n'en révèle que plus amèrement l'aveuglement du réel.



RENDEZ-VOUS

Mercredi 15 septembre à l'issue de la représentation
Rencontre avec l'équipe
Atelier du CDNO